Blogue Pouding

Ah oui, la question

J'aimerais écrire, rédiger un texte d'une longueur que je ne peux encore estimer, qui soit à propos d'un sujet apparemment gris et ennuyeux, voire embarrassant pour la plupart des gens qui pourraient s'en sentir concernés. C'est ce que je pense, c'est mon a priori au moment de me remettre à la tâche une nouvelle fois. Ce texte, je l'ai déjà rédigé ou imaginé des dizaines de fois, de dizaines de manières différentes, et bien que j'ai songé à mille ruses propres à vous mener au cœur de mon sujet, des ruses semblables à celles qu'on échafaude lorsqu'on veut absolument obtenir la précieuse attention d'une lectrice ou d'un lecteur, je dois reconnaître qu'un tel dispositif, par lequel vous seriez amenés à me faire confiance et à me suivre, serait vain. Et de fait, toutes ces constructions mentales ne m'ont encore jamais aidé à en venir au fait, tout le contraire. De façon évidente, j'ai prouvé être incapable de me résoudre à utiliser la fiction pour lubrifier le tout et m'aider à vous faciliter le passage. Pourquoi tenter de vous mentir? Pourquoi tenter d'habiller mon message de telle façon que je puisse vous rendre ma vérité plus digeste? Tout ce que j'ai écrit avant ce jour a toujours fini par sonner faux à la relecture, ça ou je me perd dans les méandres de ma fabrication, et je n'en peux plus de tout ceci. Voilà la raison qui me pousse à vous livrer le texte assez cru et condensé qui suivra, à l'intérieur d'un contenant que j'imagine être un pamphlet.

Parmi les ruses que je comptais employer, la plus évidente selon moi était de pondre une sorte d'autofiction, de me mettre en scène de façon à ce que vous puissiez sentir qu'en fin de compte, je suis une personne bien raisonnable, et que malgré la vie ordinairement dissolue qui a été la mienne jusqu'à ce jour, vous pouviez être convaincus de me faire confiance. Mais à quoi bon tenter de vous mener en bateau? En vérité, je n'ai rien à faire de votre confiance. Mieux, je peux tout de suite vous livrer le sujet du présent texte, pour que vous puissiez immédiatement décider de l'utilisation que vous ferez de votre temps. Ne vivons-nous pas à une époque formidable où déshumanisation rime avec polarisations et distractions? Et qui suis-je pour oser croire que ma voix vaut la peine d'être entendue à travers tout ce vacarme? Qu'ai-je à dire de si important?

Alors ce sujet gris et potentiellement embarrassant dont je veux traiter ici, de quoi retourne-t-il? Tout d'abord, il est en lien avec une question qui m'obsède depuis de nombreuses années. Une question dont le sujet concerne mon identité. La question, dans sa version la plus simple, est « qui suis-je? ». Parce que c'est la question qui précède « que fais-je? » et « où vais-je? ». C'est la base, et ça a longtemps été pour moi un grand mystère, une pierre d'achoppement. Et j'ai consacré tellement de temps à tenter de répondre à cette question que je crois être moi-même devenu une sorte d'expert de celle-ci. Plus encore, la question pourrait-être « quelle est mon identité? », comme dans « je viens d'où? ». Peut-être que les réponses que j'ai trouvé pour moi-même valent la peine d'être partagées, et c'est l'exercice auquel je me livre avec le présent texte.

Une des raisons qui me pousse à vouloir écrire à ce propos, c'est le « qui suis-je? » inversé soudainement devenu un sujet chaud dans nos sociétés dites occidentales, de l'ordre de « qui sont-ils? ». Selon ma compréhension et dans mon souvenir, tout l'intérêt actuel pour les questions identitaires prend sa source dans les attentats du 11 septembre 2001. Avant cette date, les questions identitaires et communautaires n'avaient pas la cote. L'étalage de signes liés à l'appartenance ethnique ou religieuse étonnait et détonnait encore. À Manhattan, par exemple, il eut été ardu de dire les origines d'une personne prise au hasard sans risque de se tromper. Vous pouviez difficilement voir la kippa juive, et la barbe islamique était encore inconnue, pareil pour le voile des femmes. De fait, l'air du temps pré-11 septembre en était un voué à gommer les différences.

Se débarrasser des stéréotypes à l'aide d'un programme procréatif en continu de déconstruction raciale. Tout le monde n'a qu'à coucher avec tout le monde jusqu'à ce que tout le monde soit de la même couleur. Est-ce un concept qui évoque quelque chose pour vous? Ce n'est sûrement pas une idée encore en vogue à cette époque, un moment dans l'histoire où les différences entre les groupes de personnes sont continuellement valorisées et exacerbées. Ce qui retient certains d'entre-nous d'entrer en guerre ouverte contre les personnes en apparence différentes que nous accueillons par le biais de l'immigration tient au fait que beaucoup de gens portent encore en eux les souvenirs d'un monde pré 11 septembre, un monde un peu plus ouvert, un peu moins apeuré, encore imprégné des leçons des guerres passées, qu'elles aient été mondiales, ou froides, ou coloniales, et économiques, et politiques, et impérialistes, et toutes fratricides dans leur essence, pour autant que vous puissiez encore reconnaître une sœur ou un frère en une personne d'une couleur de peau différente de la vôtre, pour peu que vous puissiez croire que nous sommes tous un.

Ce que le 11 septembre a créé chez moi, c'est le besoin de revisiter mes appartenances identitaires, culturelles et religieuses. Je me demande, qui étaient ces personnes qui ont sacrifié leurs vies, et au nom de quelles croyances? Et qui suis-je face à ces gens? Quelles-sont mes croyances, ou pourquoi n'en ai-je pas? Voilà un repli défensif, un véritable recul pour moi qui d'habitude réserve mes croyances à ma seule sphère privée. De fait, ma vie privée est-elle devenue la victime collatérale des attentats du 11 septembre 2001? Peut-être que ma vie privée est aussi dans la mire du web, qui diffuse tout et qui n'oublie rien. Et lorsque ma vie privée est menacée, assiégée, où donc puis-je ranger mes croyances, sinon que de les exposer au grand jour? Il m'apparaît que les médias sociaux sont de vastes entrepôts de croyances, et nous nous parons de celles-ci, comme pour hurler devant le monde, y compris les illuminés du 11 septembre : moi aussi je crois en quelque chose qui me dépasse, et votre cause n'est qu'une parmi d'autres.

Évidemment, je perçois qu'en parallèle, un courant de violence s'invite chez-nous, comme dans une sale guerre qui n'a rien d'une sainte guerre. J'imagine que ce qui motive la plupart des jihadistes en herbe à s'enrôler pour servir la cause et toucher de plus près le rêve de casser de l'Occidental tient à un grand vide, comblé par beaucoup de croyances invraisemblables semées par de très influentes et de très intéressées tierces parties. Ce dont j'ai l'intuition, c'est que quiconque n'est pas un homme blanc d'âge moyen ne contrôle pas encore, en tout ou en partie, près de 95% des richesses terrestres. Ça laisse bien peu aux autres. Une autre chose qui me vient, c'est que les pays musulmans de la péninsule arabique et des environs sont assis sur des montagnes d'argent pétrolier accumulés depuis le milieu du vingtième siècle, de l'argent envoyé par nous, par nos parents et par nos grands-parents, à grand coup de pleins d'essence. On parle ici de plusieurs dizaines de milliards de dollars qui s'additionnent à chaque année. Je pressens que le fait de posséder de telles sommes permet de réaliser que l'argent et le pouvoir sont deux choses bien distinctes, qui s'obtiennent de façons différentes. Et si avoir de l'argent confère certains pouvoirs, le pouvoir absolu ne s'obtient que par la peur, et la reine des peurs est probablement celle de perdre le pouvoir absolu. De là à dire que les courants intégristes et leurs suites sont des créations idéologiques en provenance de richissimes royaumes moyen-orientaux engraissés par notre argent, ayant pour but de déstabiliser la planète entière en se servant du ressentiment de millions de musulmans déshumanisés, colonisés, ou poussés à l'exil, c'est là un pas que je pourrais franchir, même si la réalité peut sembler immensément plus complexe.

En cela, comme en toute autre chose, les individus décident d'agir, ou pas, pour un ensemble de considérations diverses. Et il me semble toujours beaucoup plus satisfaisant de questionner les motivations et les intentions d'une personne, plutôt que de tenter de déchiffrer le sens de ses actions. Lorsque je creuse un peu la question, je me rend compte que les individus, et souvent les groupes d'individus, sont d'abord motivés par leurs peurs. Il est clair pour moi que la première chose que je devrais faire avec une personne qui me touche par ses actions, c'est d'identifier les peurs qui l'anime. Et comme la personne qui m'atteint le plus par ses actions est moi-même, je peux commencer par examiner mes propres peurs, un exercice qui a sûrement été la plus grande oeuvre utile de toute ma vie. La seconde chose pertinente à faire pourrait être de tenter de saisir l'intention derrière le geste. Quelle était l'intention de cette personne dont les actions m'ont touché? La chose à éviter serait de vouloir punir ou pardonner. Parce que la punition suggère une transaction, laquelle est réellement un marché de dupes, car personne n'en profite, hormis le système punitif lui-même. Tenter de punir, en demandant une rétribution ou pour me venger, revient à valoriser un geste autrement fortuit et gratuit. C'est accepter une transaction perdante dans tous les cas, une transaction qui n'a jamais eu lieu d'être. Comme si on m'obligeait, par la force, à acheter et avaler une dose de poison mortel. Pour ce qui est du pardon, il devrait toujours être demandé avant d'être accordé. Je ne peux pardonner quelqu'un qui ne m'en a pas encore fait la demande. Et si cette demande arrive, je dois encore examiner les peurs et les intentions qui motivent la demande et le demandeur. Ce qui devrait être un processus, et non une transaction.

Lorsqu'une personne, ou un groupe de personnes, me cause un tort, j'examine d'abord le geste posé. Quelles étaient les motivations et les intentions derrière le geste? La plupart du temps, je constate que le geste s'inscrit dans une continuité, qu'il s'offre en réponse à un geste précédant de ma propre fabrication, ou à l'absence d'un geste attendu. Il est extrêmement rare de constater qu'un geste grave posé contre moi, ou contre l'un de mes proches, n'ait eu aucun lien avec un geste précédant auquel j'aurais moi-même contribué. Il est observé que la plupart des victimes d'agressions connaissent leur agresseur, et donc ont une certaine part de responsabilité dans les gestes qui sont commis, les plus souvent sous l'influence de quelque peur. De fait, je reconnais être responsable de mes actes et de leurs causes. Dans le même souffle, je reconnais aussi que la société, ses lois et ses règlements, de même que la plupart des groupes de personnes (gouvernements, entreprises, religions, etc.), fabriquent en série quantité de torts et iniquités qui m'affectent constamment, et pour lesquels ma responsabilité préalable est absente, ou au mieux, ténue. Faire avec, faute de mieux, constituerait l'art de fonctionner en société. Or, la société peut aussi évoluer, et elle évolue certainement. Très, très lentement. Et souvent de façon contre-intuitive. J'ose espérer que les prises de parole, comme celle à laquelle je me livre ici, contribuent à cette évolution.

Si je tente une introspection, et me regarde tel que je suis, tel que j'ai été, je peux voir mes bifurcations, les moments rendus mémorables par les choix que j'ai fait. Et je vois la peur partout. Tous mes choix ont toujours été le même en définitive, le choix entre l'amour et la peur, entre la confiance et la méfiance, entre la lumière et l'ombre. Et chaque fois où je me suis cantonné dans mes peurs, où j'ai refusé la meilleure part de mon être par crainte de perdre un acquis, chaque fois je me suis égaré, chaque fois j'ai perdu plus que je n'ai gagné. Et maintenant je peux voir la peur partout, dans la plupart des choix que j'observe, les miens comme ceux des autres, et je peux affirmer deux choses. D'abord, tous les choix sont importants, aucun n'est anodin, et prendre le parti de la facilité par peur de perdre (temps, argent, occasions, opportunités, récompenses, etc.) est le choix le plus fréquent, et aussi le plus destructeur de tous. Ensuite, la plupart des choix sont difficiles, et dans le doute, il est souvent préférable de reporter le moment d'un choix, ou même de choisir de ne pas choisir.

Parce que la société est perfectible, et parce que je préfère limiter les dégâts, je cultive l'art de la réparation la plus immédiate possible. Je tente d'offrir réparation à toute personne à qui j'aurais pu causer un tort conscient, avant même que cette personne ne soit tentée de demander réparation, ou vengeance. Parce qu'il est encore rare de rencontrer une personne, ou un groupe de personnes, qui soit insensible à une admission de responsabilité. C'est à la fois un moyen de limiter les dégats, et aussi une façon d'influer sur le cours des choses, parce que si je m'emploie d'abord à réparer une cassure, j'en profite aussi pour montrer les failles d'un système m'ayant poussé à la faute. Toutes ces considérations, qui peuvent paraître complexes et inutilement pro-actives, ont pour but de réduire les impacts de la peur dans mon quotidien, me rendant la vie immensément plus facile. J'ai déjà fait l'expérience d'une vie totalement contaminée par un nombre incalculable de peurs, ce que certains appellent la survie. Mes quarante premières années de vie ont été pétries de peurs, et certaines m'habitent encore, quoique leur impact soit aujourd'hui amoindri par un travail d'éveil fait en conscience, lequel me rend aussi plus apte à reconnaître la peur chez mes semblables.

Connaissez-vous des personnes en constante survie, des personnes uniquement conditionnées par leurs peurs? J'en connais beaucoup, et j'en reconnais encore plus, partout, dans toutes les sphères de la société. Le plus souvent, ces personnes ont aussi adopté la peur comme moyen de communication. Je peux voir la peur dans leurs yeux et je peux entendre la peur dans leurs mots. La peur en communication est assez simple à reconnaître. En général, la personne qui communique par la peur tente de convaincre, ou alors suggère une conviction par ses paroles. Entendre un être dont les paroles montrent qu'il est convaincu de quelque chose est le premier signe d'un discours aliéné, alimenté par la peur. Parce que le seul et unique moyen de montrer sa conviction en quelque chose, c'est par l'action, sauf si cette action est d'abord conditionnée par la parole d'autrui. Par exemple, je peux décider de construire ou détruire une chose, sans crainte d'être manipulé par la peur, seulement dans les cas où cet acte n'est pas le fruit de l'influence par la parole d'une tierce personne. Mes actions doivent absolument être le fait de ma propre réflexion, de mon propre cheminement, sans interférences extérieures directes, pour être certifiées libres de peurs.

Parce que je suis souvent imprécis dans mes paroles, je préfère écrire. L'écriture, c'est la parole dans l'action. En général, si les écrits reproduisent assez fidèlement les peurs d'abord reçues oralement, ils offrent aussi une sorte de tampon entre le discours et sa réalité, permettant à l'imaginaire de s'en emparer et de le déformer, ce que l'on appelle aussi la lecture entre les lignes. Un moyen efficace de s'assurer de bien transmettre les peurs écrites est de sacraliser un texte. Dire d'un texte qu'il est sacré permet la transmission facile de toutes les peurs qui y sont contenues, pour autant que le lecteur accepte la convention de sacralisation. Un moyen d'encourager la sacralisation des écrits est de promouvoir l'analphabétisme. Un analphabète peut difficilement utiliser son imagination pour se distraire d'un discours rongé par la peur. Les domaines d'activité humaine les plus susceptibles de générer et de propager les discours de peur sont la religion, la politique, la justice, l'éducation et la représentation, toutes des activités fondées sur l'oralité. La plupart de ces activités se sont pourvues de règles et de balises de façon à encadrer l'utilisation de la peur, et ainsi permettre leur propre survivance. Par exemple, les prêches des prêtres sont issus de textes sacrés éprouvés par le temps, certaines insultes sont contrôlées dans les assemblées d'État, le jargon juridique utilisé lors des procès est opaque, les enseignants sont priés de s'en tenir à ce que le l'éducation nationale autorise, et les publicitaires obéissent à des normes soi-disant strictes. Malgré tout, la peur transparaît dans la majorité des communication orales et écrites propres à ces domaines d'activité cruciaux dans nos sociétés dites avancées.

Il y a de cela quelques dizaines d'années, nos sociétés étaient en grande partie composées d'analphabètes. Même si beaucoup a changé avec l'élargissement de l'accès à l'éducation, le spectre de l'analphabétisme est toujours présent, empruntant désormais de nouvelles formes. Il est en effet aussi utile aujourd'hui de posséder un niveau de littératie basique, donc de savoir reconnaître et lire des mots sans plus de compréhension, qu'il était utile d'être analphabète jadis. Apprendre à lire, écrire et compter devient insuffisant, tant ce qui fait aujourd'hui défaut est le manque de discernement, de capacité de compréhension et d'analyse, parce que la peur est encore la valeur sûre vers laquelle se tournent les communicateurs. Et le seuil de qualification augmente sans cesse, aujourd'hui cadencé au rythme des algorithmes, beaucoup plus rapidement qu'augmente ma capacité d'accession aux connaissances nouvelles, ce qui diminue ma capacité à filtrer les peurs qui me sont communiquées. Et si les algorithmes sont encore construits de façon à accélérer la transmission et la propagation des peurs, il pourrait en être autrement. Il reste que je dois maintenant trouver mieux à faire que de tenter de débusquer les peurs qui transparaissent des discours et des écrits de l'extérieur. Mon salut passe désormais par un éveil de mon être, un nouvel accès à mon intériorité, dénué des peurs qui ont pollué ma vie jusqu'alors. Ne vous y trompez pas, bien que le travail soit laborieux, il reste possible, et inévitable. J'ai toutes les réponses en moi, tout comme chacun d'entre-nous.